Le Miroir Brisé


essai pour un modèle de psychisme objectif


Docteur Denis-Serge Clopeau




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REMERCIEMENTS

à mes maîtres même les plus éloignés de la matière abordée ici, merci à mes patients

à ma femme, mes enfants, mes amis pour leurs aides diverses et pertinentes

PREMIÈRE ÉDITION
adaptée à partir de la version en espéranto complétée
qui donnera lieu à publication électronique en format PDF
achevé d'imprimer, dépôt légal octobre 2021

Auto-édition de l'auteur Denis-Serge Clopeau
12 rue de la drisse
56450 Theix-Noyalo

Code ISBN : 9798487299062



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Résumé en une page et en style télégraphique



Modèle de psychisme, neurophysiologie. Limites physiologiques intrinsèques de l'organe cérébral, surmenage, saturation et empoisonnement catalytique. La physiologie, la biochimie substratum d'un modèle de psychisme. Ontogénie psychique humaine sous l'emprise de l'angoisse primitive. Construction, classement, mémorisation, manipulation, parasitage des objets conscients et subconscients. L'organe du préconscient. Modèle de psychisme objectif. Le JE, non-JE, le SOI. Le hiatus ontogénique, le concept de régression-fusion. Évocation conceptuelle, évocation du subconscient par processus associatif et dissociatif, recouvrement et remaniement mémoriel des objets, parasitage du préconscient. Contexte biochimique et parasitage. Circuit de la récompense. Lien symbolique entre les objets conscients et inconscients. Agrégation. Enkystement. Souffrance. Le Préconscient plateforme des souffrances, des aggravations, des parasitages, des soins, des réparations. Invasions, pont tibétain, déparasitage dans les protocoles thérapeutiques. Consigne de sécurité. Combinaison de protection, ancrage. Éthique des prises en charge psychologiques. Efficacité thérapeutique, autonomie du patient. Illustrations cliniques, critiques, limites du modèle. Le protocole de soin réglé, le patient reste maître à bord. La pédagogie est l'art du soignant.


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     Le terme de modèle doit être pris dans un sens épistémologique. Je choisis de présenter un essai de modèle, bien conscient de m'accorder par là une liberté maximum quant aux contraintes qui s'imposent à l'auteur. Comme je le concède, la forme de l'essai me dispense d'une lourde bibliographie dont je n'ai pas pris les moyens. Je plaide pour l'originalité de la publication et considère ma paresse relative à la norme universitaire comme excusable, d'autant que je l'avoue d'entrée. Je ne suis pas professeur, je n'ai pas eu ni pris le temps d'organiser mes lectures au-delà de ma formation intitiale pour prétendre à une quelconque expertise encyclopédique. J'en préviens la lectrice ou le lecteur pour qu'il ne m'en fasse pas grief.
     Ce modèle est donc, par essence comme il se doit, fait pour être soumis à critique et dépassement. Je souhaite exposer clairement l'articulation de quelques concepts et je tente de mettre à l'épreuve le modèle dans quelques situations cliniques assez courantes. Les cas présentés sont bien entendu anonymisés, d'autant qu'ils sont en fait composites de notes complémentaires, réflexions et critiques de qui lit et reformule prise en charge étalée sur plus de 20 ans.
     Enfin ce modèle éclairera une prise en charge essentiellement autonome des souffrances psychiques, et justifiera une éthique des soins en matière psychologique. Je l'ai voulu assez simplement expliqué pour qu'un lecteur sans connaissances puisse le comprendre, voire l'expérimenter sur lui-même.
     "Le miroir brisé" trouvera son explication dans les dernières lignes de l'essai mais le sous-titre "essai pour un modèle de psychisme objectif" se veut provoquant comme un oxymore. Comment un domaine aussi vaste, mystérieux, pourrait-il être abordé dans une approche simplement factuelle, objective? Je partage cette critique et chacun conclura cette petite provocation avec son propre jugement. Le vrai contenu de l'essai tend à décrire les rouages du psychisme comme un mécanisme de construction d'objets psychiques, mais aussi d'identification de leurs attributs, de leurs relations dans le domaine conscient et subconscient, autant dans l'état mental qualifié de sain que dans celui de pathologique. À toutes fins utiles vous remarquez que les pages de gauche laissent toute la place pour disposer du moyen immédiat de toute critique et annotation. Personnellement j'ai toujours regretté de ne pas disposer de ce simple moyen d'appropriation de la chose lue. Voilà pour vous souhaiter la bienvenue dans ces quelques pages.
     D'où je parle, d'où je pars ... ce qui manque souvent au lecteur et qui pourtant est indispensable pour éclairer sa critique. Voici mes réflexions dans un domaine que j'explore attentivement, depuis un instant précis par ses circonstances, mais dont la date n'est pas définie à un an près. Le point de repère est que l'instant extraordinaire du début de cette expérience, la révélation, s'est produite alors que je passais juste sous la frondaison d'une glycine en fleur, à l'odeur merveilleusement envoûtante, débordant des grilles d'un jardin, dans une petite rue d'un des 3 parcours me ramenant du lycée vers 17h, au sortir du cours du musique. Au 3ème étage de mon lycée Lakanal où, dans une salle légèrement mansardée exposée plutôt à l'ouest et aux carreaux du 19ème siècle à faces non parallèles déversant en arcs-en-ciel le soleil déclinant, nous avions achevé le cours par l'écoute sur le tourne-disque portable modèle éducation nationale, d'une musique qui m'avait emporté déjà assez loin. J'avais 13 ou 14 ans et j'étais souvent seul, aussi la contemplation musicale était mon rituel le plus fréquent. À l'heure où j'écris, dans ma 68ème année, l'envie de livrer mon expérience me poursuit depuis la soixantaine. Ma vie professionnelle m'a contraint de bon gré à approfondir mes réflexions de jeunesse, et à les organiser pour venir en aide à mes patients dont je recevais régulièrement les plaintes, les souffrances, les confidences. J'ai aussi bien sûr profité des acquis de mes études initiales qui ont été longues et qui ont connu de nombreux échecs avant le couronnement final dont le thème était très orienté vers la haute technologie, autre de mes sujets d'intérêt.
     Pour en revenir au sujet de l'essai, il est notoire que si je n'ai réussi la majorité de mes certificats qu'à la deuxième présentation, parmi mes succès immédiats il y a eu le "bloc". Dans ces années 1975, ce bloc (c'est ainsi qu'on nommait le certificat de psychiatrie) avait mauvaise réputation dans toutes les promotions: énorme, touffu, inutile, incompréhensible, baratin etc, etc. Je l'ai donc abordé avec appréhension bien que déjà prévenu contre les préjugés. J'ai lu l'énorme polycopié de plus de 1000 pages, dont beaucoup de photocopies de livres en réduction, qui parlait de psychiatrie avec sa symptomatologie, sa nosologie, ses thérapies dont quelques stratégies de soutien psychologique vouées à intégrer l'exercice médical général de quelques éléments de droit ... OUF. Effectivement j'ai dû m'y reprendre à plusieurs fois pour comprendre et pour m'inscrire en faux contre les préjugés dévalorisants, courants dans les rangs des collègues. Je me rappelle avoir rempli quelques blancs et versos libres, avec mes remarques personnelles. Le jour de l'épreuve j'ai choisi parmi les thèmes libres celui qui consistait à expliquer une situation de souffrance psychologique décrite de façon assez littéraire. J'y ai introduit mes concepts d'ontogénie, "d'angoisse primitive" résolue par l'angoisse conceptuelle mais dont l'invasion menace devant toute situation inconnue, en fait une part de ce je développe dans la suite. Ma note, à ma grande surprise, m'a placé en tête du palmarès, ce qui m'est arrivé dans de rares cas. Fort de cette onction universitaire, je me considérais assez compétent pour assurer une aide efficace aux patients. Oui bien-sûr, il faut excuser sa niaiserie à la bonne volonté! Dans les cas les plus académiques je remerciais mes maîtres de m'avoir donné les idées claires sur la distinction entre psychose et névrose et leurs typologies, pour savoir décider d'adresser les patients vers les confrères psychiatres, de façon documentée, ou prescrire le soutien psychologique.
     Mais j'ai vite constaté les limites des compétences à ma disposition et aussi celles des autres soignants en matière de soutien psychologique. Aussi je suis reconnaissant à deux stages spécifiquement dédiés à la communication et à deux autres à la Programmation Neuro-Linguistique qui m'ont ouvert de nouveaux horizons. De ces sources variées j'ai produit, après 1 an et demi d'appropriation en 1994, (ma véritable installation comme généraliste commence en 1990) mon propre protocole empruntant à la PNL en complétant d'apports neurophysiologiques, mais excluant toute implication physique ou intimiste dans les processus "d'ancrage", laquelle je réfute sous le qualificatif de "posture du gourou". Ce dernier point est crucial de mon point de vue critique, face à toute démarche psychothérapeutique qui donne un rôle interventionniste au thérapeute. Dans certaines "écoles" visant un public de "managers", de vendeurs, de cadres militaires etc, sur internet, vous trouverez des permis d'intrusion, d'assujettissement, de domination, de manipulation, aussi odieux dans leur forme que dans leurs objectifs, et maléfiques pour l'autonomie mentale des personnes ciblées. Je recommande donc la plus grande circonspection en la matière. Mon protocole, par contre, suit un schéma essentiellement pédagogique, sécurisé par une hiérarchie des objectifs clairement exposés aux patients. "Nous allons commencer par une leçon de chose puis des exercices visant à vous permettre d'évoquer vos moments préférés, sereins et néanmoins banals, sans valeur intime particulière". "Si le besoin d'aborder avec moi des souffrances persiste, ce sera après un entraînement et une maîtrise que vous aurez acquise avec mon aide d'abord sur des situations banales... je n'aime pas l'odeur de l'eau de javel, ou le bruit des tondeuses à gazon".
     Cette prévention contre un abord thérapeutique direct d'une souffrance souvent exprimée clairement par le patient comme: "enfant j'ai été battu par mes parents, ou j'ai perdu un enfant, j'ai été violé, mon conjoint me trompe, mon supérieur hiérarchique me harcèle, etc" sera expliquée dans l'essai.
     Mais la motivation essentielle est de fournir un modèle clair et donc, j'espère, facilement critiquable des fonctions psychiques autant pour une appropriation personnelle par le lecteur en donnant des pistes pour l'introspection, que pour aider à la compréhension d'autrui. Le souffrant pourra donc aussi y trouver un confort dans le "connais-toi toi-même". Enfin mes consœurs et confrères qui reconnaîtront la problématique soulevée y trouveront au besoin une formulation soumise à leur propre appropriation et critique. Notez que les concepts, car il s'agit d'un modèle original, sortent du cadre académique en tout cas à mon niveau de connaissance.
     Je tente de suivre un plan progressif qui vise à expliquer parallèlement les mécanismes conscients et subconscients, ce qui amène à quelques redites, qui je l'espère profiteront à une pédagogie de la répétition dont j'ai moi-même bien profité. Je m'appuie sur des connaissances dont les validations n'ont pas toutes le même niveau. Je suis bien conscient que mon écrit pêche par un manque notoire de bibliographie, il ne s'agit que d'un essai et les lecteurs sont invités à laisser leur esprit critique en éveil. Pour pallier ce défaut, je compte beaucoup sur la curiosité du lecteur, pour le butinage également critique d'internet que l'époque moderne nous offre. Comme je ne pratique pas la fausse modestie, je dis aussi que ce modèle contient des outils qui ont profité à beaucoup de patients qui m'ont consultés dans les circonstances variées de ce merveilleux métier de médecin généraliste. Je me souviens bien-sûr de quelques échecs non surmontés, sans doute car la présentation didactique déstabilise ceux pour qui le psychisme doit nécessairement être abordé comme un domaine obscur et mystérieux, dans la peine et l'ombre. C'est hélas une conviction que deux consultations ne suffisent pas toujours à ébranler, d'autant qu'elle est fortement diffusée dans le corpus des certitudes socialement admises.
     Voilà, à ceux qui poursuivent encore la lecture, je conseille la plus grande décontraction. Il me semblerait étonnant que j'arrive à me faire comprendre à la première lecture. D'autant que, malgré un effort sincère, je n'ai pas pu éviter quelques va-et-vient et autres digressions qui j'espère prendront leur juste place dans l'esprit de ceux qui reliront les passages "du coq à l'âne".
     L'angoisse primitive, l'ontogénie, le JE, l'angoisse conceptuelle et subconsciente, le premier monde construit.
     Commençons par l'explication de ces termes dans l'acception utile à ce modèle. Cette intuition que "ce qui est, n'est qu'un cas particulier de ce qui peut être", est devenue les prémices de mes réflexions philosophiques. Toutefois ce qui "est" n'est pourtant pas fortuit et répond généralement à un objectif qui est justifié. Cette intuition est devenue une révélation assez mystérieuse, en quelques pas sous la frondaison de la glycine.
     Une question, un oukase presque s'est imposé à ma jeune conscience: "acceptes-tu l'inconnu, l'incertitude, sans garantie de profit quelconque, ou bien décides-tu de t'y soustraire et d'en perdre la curiosité?" Ce jour là, j'ai choisi la voie indéterminée qui m'a accompagné pendant 150 mètres, jusqu'à un sursaut lorsque mon chemin à croisé le train de la ligne de Sceaux dans son prolongement jusqu'à Robinson, à cet instant où je me trouvais sous le fracas du pont métallique. Voilà c'était fait, je connaissais le chemin qui s'ouvre aux curieux, entre le fait et le possible, entre le certain et le tout. Cette occasion rare de reconnaître l'angoisse primitive, pré conceptuelle, que je pose comme instigatrice de l'effort de construction psychique m'a été donnée dans ces quelques minutes. Cette expérience m'a fait connaître un cheminement généralement profondément occulté dans notre subconscient. C'est un objet inclassable par essence, puisque l'inconnu qui entoure la découverte ne trouve en lui aucune classe pré-établie. Cette dimension m'accompagne, depuis elle m'est familière. Voilà en tout cas la première expérience qui m'a valu d'entrevoir cette forme d'angoisse très particulière, sans doute insupportable dans une situation commune mais qui, ce jour-là, dans la méditation qui m'accompagnait souvent, m'a semblé "naturelle", bienveillante. Depuis, cette familiarité l'a rendue confortable, voire essentielle à mon bien-être. Les années passent, cette découverte ontogénique ne s'est jamais éloignée, m'a aidé en cas de difficulté où les échecs, déconvenues, souffrances ont croisé ma route. Et je me suis mis à introspecter continûment mon fondement psychologique.
     Puisque que la personne que je pense être n'est qu'un cas particulier de ce qu'elle pourrait être, comment s'est-elle formée tout de même? Sans me rappeler précisément comment ma réflexion s'est condensée en la matière, la forme qu'elle a fini par prendre m'a paru limpide et j'en fais un fondement solide.
     C'est la première pierre fondatrice de la suite. La première heure de vie est passionnante à observer. Hélas peu de personnes ont cette occasion avec une certaine distance. Ma première fonction étant l'oxyologie, nous disons aujourd'hui urgentiste, médecin de Samu, vous le devinez ce loisir de la distance n'a pas été mon lot quotidien. Au contraire dans mes interventions comme intervenant dans l'urgence néonatologique au lit de la parturiente et de la couveuse du prématuré, réparties dans les petites maternités des Côtes d'Armor et principalement la nuit. Aussitôt arrivé, obtenir le dossier, les dernières infos depuis l'appel, la préparation du plateau technique, les rappels des protocoles à l'équipe, voilà pour les cas banals. Souvent c'était beaucoup plus direct, sur la sonde d'aspiration, l'épicrânienne, les cathés, le capteur de PO2 trans-cutané, la sonde d'aspiration, d'intubation, l'ambu, le ventilateur, les lampes à infrarouge le scope, en bref l'urgence. Mais dans les meilleurs des cas, c'était un moment d'émerveillement, tout était fait par l'équipe, la nature avait bien fait les choses. Quelques compliments rassurants, des explications aux heureux parents et je pouvais prendre un peu de distance. Fréquemment dans ces cas, le bébé se met assez rapidement à crier, il s'agite, il fronce, même sur la chaleur du sein de sa mère. Bon allez, le dextro est un peu bas, et selon les circonstances il va recevoir la solution à son malaise. Au mieux le sein de la mère où déjà suinte le précieux colostrum, ou en cas d'empêchement technique quelques ml de glucosé à 10% dans un biberon à bonne température. Le voilà qui crie de plus belle, le contact du téton ne le calme absolument pas, les premiers jets de lait déclenchés par la libération hypophysaire de l'ocytocine déclenchée par les cris, ne le calment pas non plus. Le réflexe de déglutition fonctionne, mais même après les premières déglutitions l'enfant n'est toujours pas satisfait! Que se passe-t-il? Ce nouveau-né serait-il démuni du moindre raisonnement? Ben oui bien-sûr, nous savons depuis longtemps que l'être humain fait partie des mammifères les moins équipés à la naissance.
     Cette souffrance du nourrisson dans sa première heure de vie est démonstrative de "l'angoisse primitive". Sait-il ce qu'il est en train de vivre?... non. En rien ni la cause, ni le moyen, ni même le résultat ne lui sont connus. Voilà ce qu'est "l'angoisse primitive" absolument universelle pour les êtres humains en construction. Cette angoisse va être le climat de toute cette construction jusqu'à ce que, dans chaque situation, l'enfant, puis l'adolescent et le jeune adulte ait pu transformer la situation inconnue en objet conscient ou/et subconscient capable de répondre à l'urgente question du devenir et de l'invariant des réponses. Le deuxième jour le nourrisson est déjà beaucoup plus "raisonnable", la mémoire des séquences de ses premières heures le dispense de cris inutiles, et fatigants. Dès qu'il sent le lait dans sa bouche, son parti est pris, il tête avec ardeur. Puis le troisième jour, les cris cessent dès que l'odeur du sein se rapproche. L'olfaction, un des canaux les plus précoces et puissants, est à l'œuvre avec une connexion mono axonale directe au rhinencéphale du cerveau primitif, lequel est connecté à de multiples régulateurs physiologiques. Il est même possible de constater qu'un linge imprégné de l'odeur de la mère aura un effet calmant pour l'impatience du nourrisson... Transitoire, car bientôt la supercherie est démasquée par l'enfant et pas question de le tromper sur ce coup-là. Plus tard avec le bruit d'un biberon agité, la voix des parents, et avec la première détection des images floues, l'apaisement sera de plus en plus anticipé, il sera même possible d'observer les traits, le chant de la réjouissance avant la satisfaction réelle du besoin. Quelque chose de nouveau, une acquisition s'est donc opérée.
     Un observateur attentif voire musicien notera que les cris et pleurs d'un bébé, d'un enfant, changent très rapidement lors de ses premières "frustrations". Je suppose une connexion neurochimique complexe entre "l'aire du cri" et celle des objets psychiques forgés hors de la gangue primitive par les coups des épreuves successives.
     La rapidité fascinante de ces acquisitions doit nous interpeller. Si ce petit cerveau encore immature fournit un tel effort, c'est que "l'angoisse primitive" est sans doute insupportable. Il lui faut un palliatif immédiat, la construction d'objets capables de la circonscrire, de la prévenir, de la sublimer. Alors "l'angoisse primitive" s'effacera devant une angoisse beaucoup plus acceptable, qui sera "l'angoisse objective et même conceptuelle", celle qui tient dans les mots parfois les plus effrayants certes mais des mots connus, des objets psychiques reproductibles, prévisibles, invariants. Cette construction urgente, indispensable de tels objets finissent par former un monde, que je qualifie de "premier monde construit". Passez le film d'une existence et vous trouvez que ce monde touche à tout. D'abord s'identifier comme autonome de l'environnement. Le haut, le bas, la bouche, le ventre, les bords du berceau, les images "utiles", le déplacement, éviter de se cogner, donc pouvoir distinguer le JE physique du NON-JE physique. Bien-sûr toute situation totalement inconnue tombe sous le joug de "l'angoisse primitive" et devra être "résolue" dans l'urgence. Ce premier monde construit prend donc une valeur immense, le seul îlot viable dans un océan d'inconnus, pas question de le lâcher ou même de le mettre en doute, sinon c'est revenir à la case départ, la terrible "angoisse primitive".
     L'ontogénie humaine est donc assemblée par une forge infernale et universelle.
     Bien entendu les objets construits dans l'urgence sont rapidement influencés par l'environnement général et social en particulier. La place de la personne, du "JE" lui même dans ce "premier monde construit" connaît donc des formes différentes et en partie déterminées par la manière dont les situations inconnues se présentent. C'est déjà l'éducation. Ce qui importe ici, c'est de se rappeler que si l'on admet un déterminisme par l'éducation, il n'est toutefois pas possible de réduire ce "JE" et ce "premier monde construit" à l'action éducative. La caractéristique essentielle de ces objets est leur justification vitale. C'est la contrainte de l'ontogénie humaine. Il faut aboutir à tout prix à un premier monde efficace pour faire disparaître l'angoisse primitive au profit d'angoisses conceptuelles: peur de se cogner, de manquer, de mourir etc. Ainsi l'être humain trouve sa sérénité.
     Ce premier monde construit sera donc ce qui "est" et toute remise en cause de son monopole sera anéantie par l'interdiction de se REtrouver devant l'angoisse primitive. C'est la raison pour laquelle poser que ce qui "est" n'est qu'un cas particulier des possibles est plutôt rejeté dans les conversations habituelles. C'est là notre handicap ontogénique, la limite intrinsèque de l'imagination. S'il est intellectuellement possible de poser cette proposition, elle sera écartée par notre filtre psychologique préconscient, pour maintenir les invariants du premier monde construit. Je ne saurais mettre de distance avec ces objets construits "vitaux" qu'à la condition d'une sécurisation exceptionnellement réalisée et d'une curiosité téméraire.
     Dans les autres cas une discussion philosophique effleurera la question existentielle mais ne modifiera pas les croyances du JE. On dit souvent que la nature revient au galop. Il faut entendre que le premier monde construit imposera son monopole car il est lié dans le subconscient à la pérennité du JE et de ses invariants, de son intégrité.
     Une fois le JE constitué dans le premier monde construit, l'angoisse primitive pour les événements vitaux est résolue. Puis l'être social s'agite dans les relations avec d'autres personnes et un environnement moins immédiatement vital, où ce sont des angoisses conceptuelles qui sont motrices de la construction d'objet. Les angoisses conceptuelles peuvent découler d'une construction personnelle, peur des araignées, mais elles sont surtout socialement transmises par le langage social. En exemple la peur de maladie transmissible est particulièrement élaborée, conceptuelle, mais elle implique le JE et le SOI, ce qui fait la difficulté d'une bonne appropriation.
     Jusqu'à présent nous avons parlé d'un JE élaboré dans l'urgence d'une "angoisse primitive" dont l'ampleur dépend de l'environnement. Par exemple les études psychosociologiques rapportent que les enfants qui ont grandi dans un climat de violence familiale, ou une guerre, ont une personnalité fortement perturbée. Lorsque "l'angoisse primitive" est exacerbée par la violence, la constitution du JE s'arrête, se bloque. Il se produit un hiatus constitutionnel. Par exemple l'enfant victime de maltraitances sexuelles ne pourra pas construire ses objets psychiques relatifs à son ontogénie sexuelle. Ainsi nous comprenons que l'exposition de cette personne à un événement sexuel la confrontera d'emblée à "l'angoisse primitive". Ces situations douloureuses entraînent une forme d'évitement, ou autre réaction insolite. Son JE n'aura pas pu se construire sur cette inconnue qui lui a été infligée violemment. C'est le hiatus qui encoche la courbe de croissance du JE, entrave la construction ontogénique. Nous verrons les conséquences de ces hiatus de façon quasiment graphique lors des processus de régressions pour fusion qui sont sans doute les phénomènes les plus complexes jalonnant la vie normale d'un être humain.
     Les outils et les objets.
     L'homme est souvent décrit par ses capacités, ses acquis. L'appropriation, la fabrication d'outils, qui sont aussi des objets, mais avec la capacité de transformer d'autres objets, font partie de toutes les fresques paléontologiques. Ces outils ne sont pas toujours matériels. En arithmétique l'addition par exemple comme opérateur est un objet symbolique, agissant sur des objets opérandes. C'est un objet-outil symbolique conscient. Ajoutons que nous verrons aussi des objets outils subconscients produisant des "opérations subconscientes".
     Chacun pratique cette interdépendance avec l'outil qui étend l'être jusqu'à ressentir que, sans les outils, il n'est plus rien, qu'il perd son image humaine. C'est même plus fort que ça, puisque sans une palette d'outils ce sentiment de dépersonnalisation devient angoissant. La feuille blanche sans crayon, sans gomme, sans "inspiration" est un exemple simple. Cette situation par rapport aux outils est donc générale, des premiers âges, jusqu'au handicap de la vieillesse, des plus anciens métiers aux plus récents, avec une relation à l'objet de plus en plus indirecte, complexe, abstraite. L'interaction objet/outil est essentielle dans l'appréhension de l'un comme de l'autre. L'objet est associé aux outils qui l'extrait, le façonne, le transporte. Et réciproquement, que serait un outil sans destination vers un ou des objets ?
     Et oui, il en va de même par rapport à la construction de notre psyché. Le nouveau-né dispose déjà de quelques outils. Alors on peut considérer que la sensibilité tactile encore frustre, par expérience successive, l'amène à distinguer son propre corps de l'environnement, puis à hiérarchiser, mémoriser, reconnaître et l'un et l'autre et leur relation, avec une acuité, une anticipation croissante. De l'inconnu émerge le prévisible puis le sentiment de sécurité voire de puissance comme sur la simple pâte à modeler. Je renvoie ici au concept "d'angoisse primitive". Ce mécanisme d'appropriation, de perfectionnement dans l'usage des outils est indissociable de l'ontogénie (constitution du JE) et de la construction du SOI (relationnel, social). Les outils disponibles conditionnent la construction du JE et du SOI. L'homme sort de cette analyse comme un être par essence social. Au-delà des premières expériences sensorielles des premières minutes de vie, l'intervention des outils conditionne, rend possible, configure sa personne, son identité, ses acquisitions conscientes et subconscientes par les expériences de l'éducation, ou fortuites, personnelles, inopinées.
     C'est bien en effet la vie sociale, avec les parents, voisins, école, etc, qui fournit les objets-outils et donne l'exemple de leur usage, ou de leur mésusage, ou de leur interdiction, et produit les objets en résultant. Il faut entendre que cette définition très large du mot "objet" contient une connexion entre le vécu personnel, intime, et les relations sociales plus ou moins structurées, découlant de l'usage d'outils dans un sens très général. Ce fait explique pourquoi, si beaucoup d'expériences humaines sont identiques, elles forment des objets non identiques, divergents, voire incompréhensibles de l'un à l'autre. Selon l'ordre d'appropriation des outils, les objets qui constituent le JE et le SOI des uns et des autres seront différents. Il y a donc une grande dispersion des personnes sur un fond universel des mécanismes. Voilà sans doute le premier défi de la communication. Par exemple l'empathie qui est très répandue s'appuie sur l'expérience commune et universelle de certaines joies ou souffrances relativement à des expériences très répandues, voire intégrées à l'éducation, comme le doudou, au point que le ressenti est "synchronisé" d'emblée entre l'enfant et les parents premiers initiateurs sociaux. A contrario l'incompréhension est reconnue par la société, qui dans le meilleur des cas propose la tolérance et le dialogue pour la dissoudre. Dans ce cas si l'on veut généraliser, c'est l'expérience partagée de la tolérance et du dialogue (des outils) qui débouche sur une empathie, non pas à propos d'un objet commun cette fois, mais secondaire à cette démarche réciproque de la mise en œuvre d'outils. C'est alors cette œuvre commune qui devient l'objet de l'empathie, un objet symbolique, un lien symbolique subconscient. Il faut remarquer que l'acquisition de cet outil ne peut découler que d'un processus pédagogique complexe. Les outils sont donc indispensables à la construction des objets. Dans la définition étendue qui précède, le capteur sensoriel cutané, l'empathie, le vélo sont des objets capables d'être des outils produisant d'autres objets psychiques.
     Si nous considérons que la personne est le résultat de la mémorisation d'expériences découlant de son interaction avec l'environnement et l'usage d'outil, et si ce résultat aboutit à ce JE et ce SOI, comme collection d'objets, alors vient la question de qu'est-ce que la liberté? En effet la description ci-dessus est mécanique, systématique et pourrait faire douter que la personne humaine dispose de créativité, d'imagination et d'autres facultés auto-génératrices non liées directement à la socialisation. Et pourtant ces facultés ne font aucun doute. C'est donc que d'autres mécanismes existent et dépassent ce cadre. L'empathie met déjà la puce à l'oreille, car les "objets" impliqués dans cette expérience sont les personnes elles-mêmes. L'outil empathie est en fait une relation symbolique de similitude, d'équivalence, entre des expériences partagées lors de l'ontogénie ou édification du JE. Il y a donc là un outil d'un nouveau genre. Il ne s'agit pas d'une interaction entre une personne et un environnement plus ou moins concret, mais cette fois entre deux personnes qui mobilisent leurs acquis (JE, SOI et leurs objets) par une relation symbolique qui est comme l'outil. C'est donc une interaction purement psychologique. Comme cette interaction est très universelle, elle peut être considérée comme constitutionnelle. Je qualifierai ces objets constitutifs du Je et du SOI de "psychologiques". L'empathie apparaît comme l'outil psychologique, dont la fonction est d'obtenir un lien symbolique entre objets subconscients acquis par plusieurs personnes. Dans le droit fil, la créativité, l'imagination, l'intuition trouvent leur place comme outil agissant à partir de, ou sur des objets psychiques pour en produire d'autres. Et la merveille c'est que l'artiste, le poète, l'amoureux ou le chercheur traduisent ces relations symboliques en objets "classiques" par des outils usuels pour les exposer aux autres.
     La mémoire, les objets.
     Tous les objets psychiques forment-ils un ensemble homogène comme des bibelots sur une étagère dont l'extrême variété fait abandonner tout espoir de classification? Pour faire simple, une distinction entre objets conscients et objets subconscients est assez facile à éprouver. Je propose d'argumenter à propos des différences de types, de contenus des objets conscients d'une part et subconscients d'autre part. Il va de soi que pour qu'un objet existe il faut qu'il persiste en mémoire. Je propose d'argumenter des points communs et des différences entre les processus mémoriels des objets conscients et subconscients. En même temps on peut reconnaître que le purement conscient et le purement subconscient n'est pas toujours évident.
     J'argumenterai que les évocations des objets conscients et les invasions des objets subconscients expliquent l'instabilité mémorielle des uns et des autres. J'illustrerai l'influence des invasions des objets subconscients dans le préconscient, sur le devenir des objets conscients et des objets subconscients eux-mêmes. À propos des liens entre objets conscients et subconscients je propose un exemple simple. Les tables de multiplication sont des objets conscients, comme un vélo, une casserole, etc. Une caractéristique commune de ces objets, c'est qu'on s'en souvient, qu'on peut les évoquer facilement, et même les communiquer à autrui. Une certaine familiarité avec soi-même, ou des descriptions littéraires permettent de prendre conscience que ces objets comportent aussi des attributs subconscients. Juste comme exemple, le vélo est pour bon nombre un rappel profond de liberté, d'émancipation, de gestion du risque, d'optimisme qui ne revient à l'esprit que dans un état mental particulier, éventuellement recherché. Si les attributs conscients du vélo découlent d'un apprentissage plus ou moins savant, ses attributs subconscients comme l'émancipation assez générale pour déboucher sur une empathie, sont parfois contrariés. Des chutes, non compensées par les soins ou la compassion, donnent lieu pour certaines personnes à une association, un lien symbolique: vélo entraîne douleur et échec.
     Ces attributs subconscients majoritairement partagés comme ici l'émancipation manqueront à l'objet du "malchanceux". C'est un cas fréquent, où une empathie éprouvée de façon fréquente peut se trouver en échec et conduire à un sentiment d'incommunicabilité de la personne "malchanceuse" avec un groupe social majoritairement "chanceux".
     À propos du type de contenu des objets conscients et subconscients, la topographie cérébrale prend un sens fonctionnel, avec son cortège de modulation des neuromédiateurs et des hormones. Les connaissances sur la topographie fonctionnelle cérébrale remontent à des travaux cliniques depuis le 19ème siècle et sont éclairés par des imageries fonctionnelles alimentant la neuroscience moderne. Ainsi telle aire a été identifiée comme celle du langage, telle autre de la motricité ou de la sensibilité, avec une telle précision qu'une sorte de projection dystrophique mais reconnaissable du corps sur la "coupole" corticale est décrite comme l'homonculus. Je ne suis pas à jour des recherches en neuroscience, j'en préviens le lecteur qui voudrait trouver ici une quelconque référence en ces domaines. Je recommande la lecture d'articles à jour sur ces questions. À ma connaissance les données des études cliniques anciennes sont consolidées par la neuroscience actuelle avec une finesse accrue et un champ de recherche de plus en plus vaste comme toujours en science. À noter que les imageries modernes vont jusqu'à contribuer à l'étude des troubles dépressifs, des schizophrénies et bien-sûr des démences entre autres. Ces découvertes suggèrent une catégorisation des objets.
     Puis les études de cas déficitaires ont permis de décrire des syndromes psychiques liés à des altérations topographiquement définies entraînant des tableaux reproductibles, le syndrome frontal, pariétal etc. Mais c'est surtout la grande révolution de la biochimie et de son observation dynamique qui permet un bond considérable dans la compréhension de l'activité cérébrale, y compris des phénomènes psychologiques normaux ou pathologiques.
     Nous revoilà dans le substratum de l'objet psychique. Le conscient est installé quelque part dans le cerveau et le subconscient ailleurs. Il y a des relations d'association, des liens fonctionnels, symboliques entre les deux mondes de même qu'entre objets d'un même monde. Par ailleurs nous disposons de connaissances certaines sur l'influence de molécules naturelles: hormones, endorphines, neuromédiateurs, molécules "simples" comme le glucose, les acides aminés et même certains acides gras sur l'état mental ressenti, observé, déclenché etc. Des cas rudimentaires comme les conséquences de l'alcoolémie, des dysthyroïdies ou de l'intoxication au monoxyde de carbone donnent des exemples extrêmement disparates pouvant servir comme porte de recherche. Il faut absolument voir large. D'autres cas sont encore plus raffinés avec une compétition entre facilitation/inhibition entre plusieurs groupes chimiques, dont l'effet est exprimé par la personne, qui par entraînement ou contrainte ou interdit, va enclencher des réactions, des conduites, des anticipations de rétrocontrôle, ou d'enchaînement quasi-préprogrammés impliquant ces molécules.
     Pour approfondir et détailler nous trouverons de nombreux exemples: lutte contre l'endormissement, contre le froid, modulation de la vigilance, la colère, les pulsions sexuelles ou alimentaires, les addictions, l'ennui, les céphalées etc etc.
     Dans ce modèle je pose que, si les mécanismes sont universels, leur aboutissement va différer entre les personnes selon leurs antécédents cumulés dans le JE et le SOI. En particulier la conclusion satisfaisante ou non de ces mécanismes va pondérer l'objet par un facteur de "récompense" (dopaminergique, sérotoninergique) ou l'absence de ce "climat biochimique", et influer lourdement sur le désir de reproduire ou d'éviter ces situations. Ici il faut explorer le vaste champ des addictions comme le tabagisme, ou de phobie comme la peur de l'eau. Ces exemples banals pour montrer ce qui peut advenir en matière alimentaire ou sexuelle ou d'apprentissage dans des pathologies lourdes.
     Un objet conscient ou subconscient contient donc un attribut biochimique, entraînant sa qualification comme favorable ou à rejeter. Nous verrons en conséquence que toute évocation entraînera une invasion du préconscient avec son contexte biochimique. La construction des objets se fait donc sous influence par les invasions des objets antérieurement acquis.
     Et la mémoire dans tout ça?
     Eh bien là aussi la topographie et la biochimie expliquent la différence entre la mémoire immédiate, la mémoire à long terme, la facilitation ou l'inhibition d'évocation des connaissances, des événements conscients d'une part et subconscients par ailleurs et des deux à la fois. La mémoire est donc une fonction de base du cerveau psychique, c'est le minimum syndical d'une certaine manière, c'est le statut figé (en première approximation) de l'objet. Elle représente le procès-verbal d'un apprentissage, d'un événement, et de leur "climat biochimique" sérotinino-dopaminergique en particulier.
     Mais il faut aussi prendre en compte sa remise en conscience par une évocation plus ou moins facile ou spontanée et plus ou moins transformée là encore par le contexte biochimique. Comme exemple, si je cherche 2 fois 2, ça viendra immédiatement. Si je cherche à me rappeler ma première chute de vélo, forte chance que plein d'autres évocations surgissent et m'égarent dans le calendrier de mon existence et dans le ressenti douloureux de la chute. Ai-je été ramassé avec empathie, avec des soins, avec des reproches, des encouragements, une histoire drôle, la menace d'hospitalisation, un vélo brisé ou indemne? et j'en passe. Récemment il a été démontré que l'objet mémorisé n'était pas inaltérable et que les évocations répétées pouvaient le transformer en fonction du "climat biochimique" et des liens symboliques induits à l'instant de l'évocation. Il faut donc admettre que la mémoire remanie régulièrement les objets, leur climat neurochimique, et donc les liens symboliques.
     Ces remaniements seront conscients lors d'un apprentissage intellectuel, avec comme exemple simple l'acquisition d'un sens enrichi pour un mot déjà connu. Toujours dans le domaine conscient, le trou de mémoire sera particulièrement intéressant à étudier, tant il dépend du contexte neurochimique et des processus d'invasion à l'œuvre dans le préconscient, c'est le cas du "trac" qui sera éventuellement résolu en mettant à profit des invasions bienfaisantes.
     De là il est possible d'entrevoir que le remaniement mémoriel des objets subconscients sera mis à jour, lorsque l'introspection permettra de repasser le film du vécu. Toujours comme exemple, le contenu subconscient du vélo avant et après la chute. Ce qui est facile dans un cas simple, empathique, apparaîtra plus complexe face à des traumatismes plus graves et intimes, conduisant à une situation d'incommunicabilité.
     C'est le moment de glisser une référence connue à des manipulations traumatisantes comme les "sérums de vérité", les techniques de propagande et de conditionnement, de suggestion, qui hélas se pratiquent jusque dans les boutiques de charlatan ou les cellules de torture et sectes criminelles. Ici j'incrimine jusqu'aux grands médias historiquement impliqués au côté de leur propriétaire dans les guerres et autres exterminations. Puis ceux-là même qui écrivent l'histoire s'en disculpent sans vergogne. Le modèle de psychisme objectif explique assez facilement ces grosses ficelles du malheur, tenues sous silence des victimes.
     Une référence positive par contre ira à la chimiothérapie documentée de certains syndromes post-traumatiques ou encore à la galvano-thérapie moderne de certaines psychoses.
     Voilà qui illustre que le remaniement mémoriel est un fait courant, et pourquoi sa connaissance par un patient lui-même, et l'effet d'un exercice mental dont il a la maîtrise, peut conduire à un effet salutaire pourvu que les effets contraires soient prévenus par un protocole éprouvé. C'est le moment de prendre conscience que les objets conscients et subconscients se distinguent aussi par leurs structures mémorielles en plus de leurs outils d'acquisition.
     Il me paraît intéressant de concevoir la notion d'objet d'une manière moderne. La théorie des ensembles définit les objets comme éléments de classe d'équivalence. Voilà un terme savant, d'accord, mais un exemple éclaire la complexité apparente. Un objet qui a 2 roues, sur lequel on peut s'installer, et avancer en pédalant est un vélopuisqu'il possède tous les attributs de la classe vélo. Cette analogie rudimentaire entre objets et mathématique est connectée à la psychologie. À ma connaissance, Piaget cite que l'un des processus d'apprentissage fondamentaux de l'enfant est "l'analyse généralisatrice". L'analyse crée une classe et y place en même temps les objets pour généraliser. Bien-sûr l'esprit humain généralise ce mécanisme qui semble incontournable, comme "inscrit en dur" dans notre cortex. Il construit des classes mères ou filles, les secondes héritant des premières en y ajoutant de nouveaux attributs. Ce mécanisme fondamental permet une arborescence très performante, économique pour les processus d'évocation mémorielle des objets conceptuels et d'ailleurs il est systématiquement utilisé par les pédagogues. En science chaque spécialité crée une arborescence à sa convenance ou plus justement selon les outils qu'elle mobilise. L'arborescence issue de "l'analyse généralisatrice" des objets conscients, et de leur mémorisation, et de leur évocation semble être un modèle efficace.
     À ma connaissance il n'y pas à ce jour de substratum neuronal et biochimique de ce modèle. Notons toutefois que tous ces processus conscients sont fortement influencés par le contexte social, par la pollution des stimuli comme les bruits parasites, par l'état psychologique général, par son climat biochimique, qui contribuent au filtre préconscient comme je le décris dans le protocole. En exemple une personne, convaincue par le mépris qu'elle n'est pas capable de comprendre ou d'apprendre, exposée à l'objet subconscient "mésestime de soi", n'apprendra effectivement rien. L'inhibition est aussi redoutable que la stimulation est efficace, d'où le concept révolutionnaire de "pédagogie du succès".
     Si le climat d'acquisition d'un objet conscient est assez facilement organisable, celui d'un objet subconscient l'est beaucoup moins. La pédagogie veillera dans le premier cas, mais point de mise en situation vraiment organisée pour le premier baiser, pour rester simple. C'est une allusion sur l'implication du filtre préconscient dans la constitution des objets conscients mais plus particulièrement pour les objets subconscients.
     Quelles différences avec les objets subconscients?
     Il faut insister sur un point crucial du modèle. Ce filtre qui s'intercale entre les événements et l'activité psychique, c'est le concept du préconscient. Ce modèle s'appuie d'abord sur un constat facile à admettre, y compris dans l'activité consciente. La quantité d'information, de stimuli qui se présente à nos organes sensoriels (nous parlerons d'un organe non-sensoriel, "intérieur" plus tard) est tellement importante qu'un traitement exhaustif de ces informations épuiserait immédiatement notre machine neurochimique. En effet cette machine n'a pas de capacité infinie, à l'instar de ses réactions enzymatiques, elle est saturable et c'est donc un filtre de réjection qui protège la machine de la surchauffe. Un exemple extrême, qui montre les conséquences d'un déficit de ce filtre, est donné par l'hyperalgie du syndrome thalamique, et ses douleurs insoutenables. Dans ce cadre physiologique le capteur visuel en est une autre démonstration. La réactivité (et son corollaire la période réfractaire) des photorécepteurs garantit que, par la saturation biochimique, la captation de stimuli, si leur fréquence dépasse une certaine valeur, sera ignorée, réjetée. Ainsi les données physiques seront disponibles un temps suffisant et sans parasite pour que le cortex occipital en particulier ait le temps de les traiter. De plus, en fonction des circonstances, intérêt, urgence, procédure de survie, la fréquence de réjection varie dans une certaine proportion. En cas de chute de vélo, le film est enregistré à plusieurs fois les 25 images par seconde, et il est possible de la ré-évoquer au ralenti. Ce phénomène est aussi connu en cas d'agression lorsque son évocation n'est pas bloquée par les mécanismes d'inclassabilité et de sidération. C'est le syndrome post-traumatique. Le filtre préconscient est donc adaptatif mais surtout perturbable. Pour préciser cette donnée fondamentale, voyez les commentaires page suivante, expliquant le phénomène d'empoisonnement des catalyseurs, en particulier enzymatiques: "plus et ça bloque".
     De plus, une fois franchi le filtre de réjection, les stimuli considérablement moins nombreux vont faire l'objet d'un nouveau filtrage. C'est en fait l'amorce du classement qui pour l'objet conscient relève de l'analyse généralisatrice et qui pour les objets subconscients sera surtout marqué par son agrégation avec son contexte neurochimique et humoral.
     Alors se présentent plusieurs cas.
- Soit l'événement interpelle l'activité consciente, c'est un discours, une image signifiante. Il est alors présenté à la machine intégrative, arborescente, décrite ci-dessus puisqu'il est d'emblée classable. Ex: je vois un vélo.
- Soit l'événement est anticipé, connu, banal ou considéré comme tel et il sera exclu de l'analyse consciente car il ne l'interpelle pas. Par exemple le bruit du vent dans les arbres. Le subconscient pourra donner ou non lieu à un classement dans les catégories subconscientes où les classes ont une forme différente par rapport aux classes "conceptuelles" identifiables dans l'activité consciente. Nous décrirons ces classes subconscientes plus loin.
- Soit l'événement est brutal et/ou non anticipé, imprévu et/ou inimaginable, ou terrorisant, toutes circonstances qui déclenchent un blocage du processus préconscient, il ne pourra pas être classé. Les exemples les plus courants sont les agressions, les accidents, les viols, et la maltraitance subie dans l'enfance. Au fil des travaux, cette situation a été qualifiée de traumatisme, d'autant qu'elle inaugure une situation bien étudiée aujourd'hui désignée par syndrome post-traumatique. Ce blocage est topographiquement défini par l'implication de l'hippocampe, des modifications hormonales à action générale de "qui-vive" (ex adrénaline), de stress (hypercorticisme), de dysrégulation hypophysaire, jusqu'à des modifications des structures cérébrales observables dans les recherches par imagerie médicale. Ce drame psychique se prolonge par une altération des fonctions neurochimiques habituelles. Le filtre préconscient est sidéré, bloqué. Sorti de cette phase de sidération il est perturbé, conduisant à un épuisement neurochimique pouvant perturber donc toutes les fonctions et acquisitions: apprentissage, sommeil, sensation de bonheur, libido, élan vital etc.
     La situation peut se chroniciser au-delà des 3 mois et le fonctionnement psychique s'en trouve déformé indéfiniment. C'est le handicap post-traumatique. D'où l'importance reconnue aujourd'hui des conséquences d'une absence ou d'une mauvaise prise en charge initiale du syndrome post-traumatique. Le classement:
     Il faut souligner que la forme arborescente que prend le classement des objets conscients est un modèle solide, éprouvé en psychologie de l'apprentissage, avec l'analogie des ensembles, des classes d'équivalence et des héritages. Encore l'exemple du vélo est facile et tout le monde comprend alors ce qu'est un vélo-moteur, un vélo qui "hérite" d'un moteur.
     Le classement des objets subconscients n'est pas superposable à ce modèle. L'événement bienfaisant du berceau douillet s'enrichira naturellement de celui du lit douillet et sans doute de la "doudoune" pour donner un exemple de portée populaire. La contemplation de l'arbre en face de la chambre avec son feuillage changeant, les bruits qu'il émet à la fois dépendant de l'état du feuillage et du vent, et de la myriade des pénombres projetées, remplira le vaste coffre au trésor des émotions bucoliques et du sentiment d'harmonie.
     Ce qui est remarquable dans cette mémorisation, outre sa structure "agrégative", c'est son énorme capacité de stockage sensoriel. Le flux de données stockées est incomparablement supérieur à celui des objets conscients et donc la puissance de leurs invasions sera d'autant plus grande. Cette hyper-définition sensorielle de l'objet subconscient est d'ordre physiologique. Comme si ce classement assez simple, sans les raffinements nécessaires aux concepts, laissait notre énergie psychique disponible pour une acquisition massive multi-piste à grande vitesse d'acquisition. Il en résulte que l'objet subconscient est massif, global. Les pistes de l'enregistrement sont chacunes connectées directement à un organe sensoriel. Ce caractère massif rend bien compte de l'effet de son évocation, à l'image de la madeleine de Proust, où une effluve discrète déclenche une remise en situation encore plus prégnante que le vécu lui-même.
     Je désignerai cette situation par le mot "invasion". Le stimulus déclenchant étant comme une "gachette". Il faut rappeler une fois de plus que l'objet comporte dans ses attributs sa pondération propre entre le "plateau" récompense, satisfaction, gratification, jouissance et celui de la punition, frustration, culpabilisation, souffrance et leurs attributs biochimiques. Ici il faut souligner que "l'invasion" entraînera la restitution de ce contexte amplifié par sa répétition, à l'image des démonstrations de Pavlov concernant les réflexes.
     Cette remarque doit attirer l'attention sur la dangerosité des déclenchements d'invasions, soit circonstanciels soit par sollicitations volontaires. Une incitation à l'évocation d'un objet subconscient qui contiendrait un attribut "souffrance", une toxicité, va renforcer l'attribut souffrance ou toxicité.
     Nous verrons qu'il est possible de fournir les outils ayant l'effet inverse. Retenons qu'avant toute manipulation, par soi-même ou avec l'aide d'un tiers, d'un objet subconscient, il faut absolument enfiler une "combinaison de protection". Cette combinaison et la manière de l'enfiler réclame une compétence à la portée de chacun, pourvu qu'en plus d'une conception claire de la nature des objets en cause, comme je l'espère l'exposé actuel y contribue, deux techniques bien réglées d'évocation soient réalisées. Ce sont les techniques d'évocation associative et dissociative selon le protocole* qui suit l'exposé de ce modèle.
     De même que nous avons vu le rapport constitutionnel et réciproque entre objet et outil, que ce soit dans l'activité consciente comme subconsciente, nous venons de voir que l'objet possède une structure mémorielle qui varie en fonction de la nature de l'objet et du contexte de sa survenue. Nous avons vu les différences des processus mémoriels d'un point de vue structurel, l'arborescence versus l'agrégation, mais aussi la différence fondamentale entre les contenus de la mémorisation des objets conscients prédestinés à la communication, à la prévision, au calcul, et les contenus des objets subconscients dont la destination nous échappent par définition mais qui constituent la plus grande part de la psyché.
     Cette dernière affirmation a été historiquement souvent combattue, voire réprimée par de nombreuses sociétés sans doute pour couper l'individu d'une source de motivation non contrôlable par la norme, comme l'empathie, l'inspiration, dans l'espoir aussi de mobiliser la totalité de l'énergie psychique au profit du collectif ou du pouvoir, en niant la personne et son histoire particulière.
     Cette amputation, qui continue dans l'époque médiatique, conduit une immense proportion des personnes à lutter contre des mécanismes neurophysiologiques et donc à se tourner le dos à elles-mêmes. D'un point de vue pratique il est facile d'envisager qu'il est illusoire d'obtenir d'une petite part de notre psychisme conscient qu'il maîtrise sa part majoritaire subconsciente, non conceptuelle, et son cortège biochimique induit.
     La suite va pourtant exposer qu'une démarche consciente peut s'approprier les objets subconscients ayant propension à envahir le préconscient et être capable de contrôler ces invasions. C'est tout l'objet du protocole, d'abord pour générer des invasions bienfaisantes formant la "combinaison de protection" indispensable à toute démarche thérapeutique en particulier.
     La manipulation des objets et les opérations entre les objets.
     Partant du modèle du classement par équivalence des objets, nous pouvons observer que des opérations entre ces objets deviennent possibles et même assez systématiques. Pour ce qui est des objets conscients, un grand nombre d'entre eux se retrouvent qualifiés de concept. Pour exemple des objets chiffres vont se prêter à des opérations et des relations de comparaison. C'est le fameux 2 plus 2. Mais les simples mots d'un vocabulaire se trouvent combinés dans la langue, dans un discours non prédéfini à l'avance, sauf pour les perroquets, mais en suivant une syntaxe. Voici donc des objets conscients, en mémoire, classés, combinables, pondérables etc. Donc la manipulation des objets conscients et leurs relations sont indissociables de l'activité humaine perçue par tout un chacun. Cette activité cérébrale fait autant l'objet d'étude biologique que psychologique avec une convergence chaque jour plus affirmée. La (les) fameuse dyslexie est typique de ce point de vue. Longtemps classée comme débilité ou trouble caractériel, puis handicap, puis génétique, elle est présentée avec des mécanismes de plus en plus raffinés, y compris ses imageries fonctionnelles cérébrales, comme une particularité non rédhibitoire à l'apprentissage et peut-être parfois avantageuse.
     Pour ce qui est des objets subconscients, il faut faire appel à des considérations bien moins communes. Admettre la présence d'objets subconscients est un fait récent, sauf à considérer que la méditation, les transes, les prières, les superstitions, les possessions, référaient au monde de l'invisible, y compris au sein même des personnes.
     Ce subconscient est donc une mise au jour d'un fonctionnement cérébral inhérent au moins à la nature humaine. Nous avons vu que ces objets, issus de l'agrégation des stimuli foisonnants, malgré le filtre de réjection, mobilisent la plus grande part de l'activité cérébrale. Nous avons vu que les interactions entre ces objets sont nombreuses et qu'elles émergent parfois sous des formes imprévisibles. Pour exemple, la simple sensation de s'être "levé du bon pied" ou à l'inverse de "voir les choses en noir" qui se succèdent sans explications évidentes. Entre une sensation de bien-être total et la tension insurmontable d'un syndrome post traumatique, point de doute il se passe des choses et il faut essayer de comprendre.
     Depuis la classique description de la madeleine de Proust et des flashs post traumatiques, les indices se multiplient. Ces objets subconscients envahissent l'activité cérébrale à partir d'un stimulus qui peut être banal, événement "gachette". L'odeur déclenche l'invasion de la madeleine avec tout son contexte, lieu, personnes présentes, lumière de la salle, couleur de la nappe, crépitement du foyer, voix entendues etc. À un instant, une perception sensorielle par un seul canal sensoriel déclenche l'invasion d'un événement complexe impliquant tous les canaux sensoriels, y compris un canal non supporté par un organe sensoriel qui transmet une sensation de bonheur, le climat "dopaminergique". Cet exemple est démonstratif. L'objet subconscient est "global", c'est une copie conforme, il est même d'une extrême définition, il envahit totalement la personne sans intervention de calcul, de volonté. C'est "l'invasion".
     C'est comme un réflexe pavlovien de notre activité la plus évoluée. L'artiste nous fait découvrir cette invasion reproductible et heureuse par un discours littéraire. Comme ce récit est facilement compris et qu'il renvoie à des situations semblables pour le lecteur, il faut y voir une invitation empathique. À noter que l'objet subconscient contient tellement d'informations, qu'avec l'entraînement qui convient, son évocation reproduit une situation approfondissant son évaluation consciente. Et voilà qu'un élément de la situation enregistrée mais non pris en compte à son origine revient au premier plan. Cette redécouverte est tellement puissante qu'elle renforce la pondération satisfaction d'une situation bénéfique. Pour exemple chaque fois que je ré-évoque selon mon protocole la situation où je me laisse traîner par mon bateau à voile en pleine mer, portant harnais et sous la vigilance de ma femme, cette invasion renforce sa valeur de bien-être. Voilà donc les caractéristiques des objets subconscients qui se dessinent: résultats d'un enregistrement multi-sensoriel à haute définition, classés en fonction de charges satisfaction/répulsion liées à un mécanisme neurochimique complexe mais certain, capables de produire non pas un souvenir mais une "invasion" qui peut produire au fil de ses répétitions un renforcement de sa charge satisfaction/répulsion. Ces invasions sont donc capables de produire un "climat neurochimique" qui va fondamentalement influencer les futures acquisitions psychiques (conscientes ou subconscientes). Dans les circonstances communes ces invasions expliquent bien les sensations générales d'optimisme, ou d'irritabilité que chacun éprouve et reconnaît dans son existence et dont la banalité traduit la bénignité. Mais dans les cas de souffrances psychologiques, les potentialités des invasions dans le préconscient expliquent les fortes perturbations des objets acquis sous l'emprise des invasions. Le filtre de réjection est perturbé, le filtre du préconscient soumis à une invasion "douloureuse" perturbera le classement et la mémorisation de l'événement.
     En effet le filtre de réjection préconscient devient perméable, moins efficace. Il laisse passer plus de stimuli comme pour mieux prévoir et parer à la situation traumatisante. C'est l'état de qui-vive, de phobie, des démarches d'évitement. Ce filtre se met à laisser passer des bruits en fait sans intérêt, rejette certains contacts anodins, déclenche des fuites devant certaines images pourtant banales etc. Comme nous l'avons vu, la détérioration du filtre expose à l'épuisement neurochimique par surcharge en stimuli. L'épuisement conduit à l'état morbide en particulier la dépression "bio-chimique".
     En effet le filtre du classement est perturbé. Le climat de souffrance s'installe dans le préconscient fréquemment et durablement.
     Les évènements devant donner lieu à l'acquisition d'objets subconscients satisfaisants, gratifiants sont recouverts par le vert de gris, la morosité, et ceux qui hélas sont pénibles et frustrants cheminent sans entrave vers leur agrégat mémoriel délétère. C'est alors que la manipulation, la combinaison entre objets s'opère, cette fois sous le règne de l'invasion, c'est le "parasitage".
     Concernant les objets conscients, nous avons exposé qu'un objet conscient présente une nature conceptuelle, prend sa place dans une arborescence mémorielle construite sur le modèle de l'analyse généralisatrice, possède des attributs opératoires. Nous avons même suggéré que l'intuition du poëte, du chercheur, relevait d'une capacité à créer des liens nouveaux entre ces objets créant du même coup une nouvelle arborescence et du même coup de nouveaux liens opératoires entre les objets. Ces facultés sont sans doute liées à certaines phases du sommeil. Cet apport encore neurophysiologique contredit l'idée que seul l'effort soit gage de succès et de performance. Au contraire tout concorde dans la physiologie. C'est la qualité de la décontraction du muscle qui annonce la performance de la contraction, pour des raisons biochimiques démontrées. C'est sans doute la performance des sommeils de l'être humain qui lui permet ses performances conceptuelles et subconscientes.
     Et alors concernant les objets subconscients? À ce jour, mise à part les perturbations du sommeil consécutives à tout objet subconscient déclencheur d'épuisement neurochimique, je ne connais pas de démonstration sur l'importance du repos pour l'établissement des liens symboliques entre objets subconscients. Toutefois rappelons nous que le lien symbolique d'homologie bien suggéré dans les empathies nous met sur la voie. Aussi admettre que des liens symboliques s'établissent entre objets subconscients est logique. Et je tente d'en confirmer la vraisemblance. Le langage étant d'abord un jeu de symbole, l'idée de solliciter les liens symboliques avec les objets subconscients par un usage particulier du langage est l'objectif central que je retiens de la Programmation Neuro-Linguistique.
     Un constat intéressant dans cette voie est d'observer que si parfois une invasion comporte une indication temporelle, le plus souvent cette dimension est estompée, voir absente. Pour reprendre l'expérience du vélo, tout s'agrège en mémoire comme si ces expériences n'avaient plus de date. Ce fait extraordinaire pour une capacité comme la mémoire qui contient dans sa définition sa résistance au temps qui passe, témoigne d'une caractéristique particulière à la mémoire du subconscient. Elle n'est pas attachée au temps, au contraire elle semble s'en affranchir. Ceci explique le coté massif des invasions. Les sensations de chaque événement fusionnent avec celles d'événements distants. Ce mécanisme fait que le vélo ou le faire- du-vélo, "subconscient" va s'enrichir d'éléments fortement pondérés "positivement" dans l'échelle des satisfactions pour les jours de beau temps et de vacances, alors qu'il peut être dévalorisé par trop d'expériences sous la pluie ou la tempête.
     Ces cumuls ne sont pas le produit d'une addition des séquences mais d'une fusion des séquences. Ce travail de fusion s'opère pendant le sommeil, c'est le plus probable. Nous savons qu'un sommeil non physiologique, pathologique, va entraîner l'amnésie des faits récents. La caricature la plus désastreuse en étant le "lendemain de cuite". Nous pouvons donc admettre que les liens symboliques entre objets subconscients s'opèrent pendant le sommeil. Il nous reste à concevoir que ces liens ne sont pas prédéterminés par une stratégie consciente comme celle bien codifiée de la répétition de la récitation avant d'aller au lit. Ces liens symboliques sont hors du champ de la conscience, par contre les invasions qui en découlent s'imposeront, avec toute leur puissance massive, à l'être humain sans égard pour la confiance qu'il porte à son monde conceptuel conscient. La stratégie s'étaye petit à petit. L'invasion par un objet subconscient est d'une puissance telle que l'activité consciente est dominée. Les liens symboliques entre objets subconscients s'opèrent pendant le sommeil, et donc le climat de ce sommeil est déterminant sur la création de ces liens et donc leurs propres "climats". Les outils de ces liens ne sont pas univoques au sens où le lien d'homologie bien identifié dans l'empathie ne donnent pas toujours le même résultat pour chacun.
     La contradiction entre objets, la dévalorisation d'un objet, ou sa mise en valeur, est éprouvée lors des invasions. Hélas ces phénomènes quotidiens sont exclus du champ de l'activité consciente autant par les mécanismes sollicités que par la négligence ou le rejet social de la curiosité à leur égard. C'est ainsi que la norme sociale expose la majorité des êtres humains à l'ignorance d'eux-mêmes, une incompréhension qui conduit à un sentiment d'impuissance, d'angoisse, faute de reconnaître à la fois les objets et les outils mobilisés dans ces invasions. La méconnaissance des outils et des objets reproduit le stade de l'angoisse primitive donc par quasi réflexe, entraîne le rejet du JE et du SOI du champ de la conscience. Au contraire une bonne leçon de chose, et la pratique de l'introspection sous protection de la combinaison de protection dont la personne est maîtresse, en autonomie et surtout dans son intimité, permet de maîtriser ces invasions dans toutes leurs ampleurs, leurs connexions et leur puissance, pour y puiser sérénité, force, explication, et finalement résolution des souffrances. L'introspection d'une souffrance ne doit être envisagée que sous cette protection, au risque certain de la voir ravivée par son évocation. L'exploration d'une plaie se fait en urgence, mais dès lors qu'une cicatrice commence, son exploration est un geste qu'il ne faut entreprendre que sous condition de connaître la présence, la nature, la position d'un corps étranger, son trajet et d'opérer alors sous anesthésie et asepsie parfaite. Dans les autres cas, le patient demande une récupération fonctionnelle plus qu'une restauration formelle. C'est donc la personne elle-même qui construira son adaptation, pourvu qu'elle dispose des outils de cette réforme.
     La résolution des souffrances, attributs des objets subconscients. Quelques cas cliniques recomposés de ma pratique.
     Cas 1: Ce cas est fait pour troubler le lecteur qui aurait perçu dans cet essai une tentative d'exposé ramenant tout à la psychologie. Un adolescent de 14 ans m'est adressé par sa mère pour trouble du comportement. Il évoque qu'il veut se venger, se défendre d'agressions qu'il aurait subies. Nous commençons donc par proposer au patient de considérer que de se plaindre à 14 ans c'est normal, que l'âge le plus heureux de la vie n'est sans doute pas pour tout le monde la jeunesse etc. Il en vient à la confidence qu'il est agressé régulièrement par des gens qu'il ne saurait reconnaître et que c'est généralement lorsqu'il range sa mobylette. Alors je m'attache à lui faire décrire ce qui précède et ce qui suit l'agression... et là c'est la confusion. Je le rassure sur l'étrangeté qui lui saute aux yeux, et sur le fait qu'il y a une explication à ces "flashs". La brutalité de la vision, la régularité des circonstances, son absence de témoin, son étrangeté inachevée, sa période de récupération, m'ont interpellé. Merci mes maîtres, mon premier diagnostic qui sera confirmé est une épilepsie temporale partielle. Pour un généraliste c'est une rencontre exceptionnelle, et même pour un neurologue hospitalier ce n'est pas une observation quotidienne dans cette forme. Je l'adresse en neurologie avec l'anamnèse et l'hypothèse soulevée d'épilepsie temporale avec hallucination conduisant à une névrose de persécution. Après deux électroencéphalogrammes le diagnostic est confirmé, le traitement adapté fait disparaître les "crises" et mon accompagnement convainc le jeune patient qu'il a eu une réaction normale, intelligente à une génération d'images de sensations anarchiques auxquelles il a donné un sens. Les sensations étaient sans fondement objectif, liées à l'activité neuronale paroxystique et anarchique de son lobe temporal, mais son effort à leur donner un sens découlait d'une intelligence normale. Il a été guéri de son épilepsie très particulière et en même temps des doutes qu'elle avait fait naître sur sa santé mentale. Voilà l'exemple glorieux, issu de ma pratique, pour illustrer que la souffrance psychologique n'est pas toujours consécutive à une histoire psychologique.
     Cas 2: C'est même un cas courant dans les addictions de tous ordres, où c'est le trouble fonctionnel neurochimique qui crée la souffrance psychologique en détruisant le circuit de traitement des objets conscients et subconscients. Comme anecdote instructive et pour le moins originale, c'est une intoxication chronique au monoxyde de carbone qui a finalement expliqué l'humeur dépressive d'une famille appelant désespérée le régulateur du SAMU que j'étais, pour des symptômes dépressifs, touchant plusieurs membres de la famille, dans ce début d'hiver, sans évènement particulier, des céphalées bizarres. J'ai demandé l'intervention à domicile des sapeurs-pompiers qui ont démontré le dysfonctionnement de la chaudière gaz mal entretenue du fait des difficultés financières de la famille. Un enchaînement sociologique en quelque sorte avec intoxication au monoxyde de carbone. Il faudra bien entendu poursuivre le bilan socio économique qui à lui seul est dépressiogène. Une anecdote pour toujours élargir une vision parfois trop systématiquement psychopathologique.
     Cas 3: Ce sont toutes les démences dégénératives variées, vasculaires, "séniles" qui toutes entraînent des souffrances par dysfonction des fonctions psychologiques et psychiques, troubles de mémoire, qui au bout du compte ré-exposent la personne à "l'angoisse primitive", mais cette fois sans l'énergie psychique du nourrisson, de l'enfant à l'adulte jeune l'ayant résolu. C'est la destruction neuronale. C'est la destruction des liens symboliques, et l'invasion anarchique d'autres. La personne rentre en lutte comme elle peut. Le tout contribuant à un épuisement final et, après des accès de révolte et d'agressivité parfois suicidaire, à une apathie, puis une vigilance vacillante et l'extinction. Toutes ces souffrances sont directement liées à une altération des processus biochimiques et une altération anatomique, au point qu'elles sont aujourd'hui prédictibles biologiquement et en imagerie médicale.
     Cas 4: Un syndrome post-traumatique simple est celui d'un jeune chauffeur de poids lourd, victime d'un accident de renversement de son véhicule sur un rond-point. L'accident est spectaculaire, c'est un gros porteur. L'enquête de gendarmerie rapporte une surcharge et un défaut de répartition de charge cause de l'accident et les enregistreurs de bord disculpent le patient. Il est en incapacité totale psychique, deux côtes fracturées, dorsalgie, sommeil très perturbé, invasions visuelles et auditives jour et nuit. Syndrome dépressif, perte d'estime de soi, perte d'appétit, de libido. Il était heureux jusqu'à cet instant, avec une petite fille adorable, une femme aimante et des passions artistiques remarquables. La "combinaison de protection" anxiolytique est mise en place en usant de l'évocation méthodique d'une situation banale de sa vie de sculpteur dont le climat biochimique est sûrement bénéfique. Par répétition, cette invasion positive se renforce, au point qu'en 2 semaines le sommeil et le reste se normalisent. Le patient prend confiance dans la démarche. Il faut maintenant désamorcer les invasions qui persistent sur les gachettes de certains bruits ou angles lumineux. Ce sont ces fameuses séquences enregistrées à 200 images/seconde avec un son et une acuité incroyable qui passe en boucle dans l'hippocampe. Le patient apprend à bien enfiler tranquillement sa combinaison de protection, il s'entraîne en consultation à différentes techniques de recouvrement à propos d'objets subconscients de très faible valeur négative. Il prolongera avec cette expertise les exercices chez lui et reviendra guéri en 1 mois, capable de reprendre le volant sans trouble invasif. C'est un résumé d'un travail méthodique évoqué ci-dessus et détaillé dans le document "protocole", mais au bout du compte le patient est autonome et capable de régler d'autres problèmes par lui-même. Il est "équipé".
     Cas 5: Une femme de 47 ans est en deuil depuis 7 ans de sa fille de 19 ans décédée dans un accident. Sa vie n'est plus qu'une plaie. Elle a pourtant un entourage familial très affectueux, et des médecins et des psychologues dévoués. Rien n'y a fait, tout est gris, sans avenir, morne. Ici c'est une souffrance sans réelle solution qu'il faut soulager, c'est la vie qui continue qu'il faut libérer de l'entrave de la tristesse. La première consultation est consacrée à la "leçon de chose" adaptée. Elle repart de la première consultation avec "devoir maison" pour la semaine suivante: faire une liste de 2 ou 3 situations banales mais paisibles pour elle.
     Je lui propose de travailler sur l'évocation en mode associatif d'une visite dans la grande librairie du centre ville qui se trouve dans sa liste. Tous les canaux sensoriels sont sollicités méthodiquement, en suivant la méthode presque scolaire, en respectant les silences (20 secondes minimum) si essentiels à l'invasion du préconscient par le subconscient. Plusieurs éléments dominent l'évocation: le contact avec l'épaisse moquette, l'image des livres en rayon, et brutalement un long silence, puis "j'ai l'odeur du livre, de l'encre". Elle ressort dans une sérénité qu'elle n'avait pas connu depuis 7 ans. Bien-sûr quelques séances de plus pour qu'elle devienne experte en "invasion positive" et qu'elle complète le tableau... d'ailleurs cette odeur d'encre est liée au premier prix de récitation qu'elle a reçu de sa maîtresse, après un succès applaudi par ses camarades, elle qui était si timide! En cherchant elle avait 8 ans sans doute ... d'ailleurs il lui semble entendre très distinctement la voix de cette maîtresse dont subitement elle se surprend à dire le nom. Impossible de tout détailler, mais il faut comprendre que cette personne était désormais capable en toute circonstance, en disposant de, ou même en évoquant l'odeur de l'encre, de déclencher une invasion plus puissante que la tension de son chagrin, et qui lui transfusait la sérénité, et la confiance. Sa famille l'a retrouvée "comme avant" et la vie continue.



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